Avec le rachat de Lagardère, Vivendi signe une victoire au goût amer - DJ Plus
November 22 2023 - 3:34AM
Bourse Web Dow Jones (French)
(Cette dépêche a initialement été diffusée mardi 21 novembre après
la clôture des marchés européens)
François Schott,
Agefi-Dow Jones
Paris (Agefi-Dow Jones)--Trois ans et demi. C'est le temps qu'il
aura fallu à Vivendi pour prendre le contrôle d'un autre poids
lourd français de l'édition et des médias, Lagardère. S'il renforce
incontestablement les positions de Vivendi dans ses activités et
lui ouvre de nouvelles perspectives à l'international, ce
rapprochement s'est fait au prix de nombreuses promesses que le
groupe pourrait avoir du mal à tenir.
Entré au capital début 2020, en pleine crise du Covid, le groupe de
Vincent Bolloré a dû livrer plusieurs batailles pour se hisser
jusqu'au sommet du donjon Lagardère, réputé inexpugnable. Il a
d'abord joué les chevaliers blancs face au fonds activiste Amber
Capital, qui réclamait un changement de gouvernance de Lagardère
afin de redorer les performances financières de
l'ex-Matra-Hachette.
Ce n'est qu'au terme d'un long bras de fer qu'Amber avait cédé ses
parts à Vivendi, à la fin 2021, après avoir obtenu la suppression
de la structure en commandite par actions qui permettait à Arnaud
Lagardère de maintenir son contrôle sur le groupe.
Avant de lancer son offre publique d'achat (OPA) sur Lagardère,
Vivendi a également écarté un autre prétendant, Bernard Arnault. Le
président-directeur général de LVMH avait pris une participation au
sein de la holding personnelle d'Arnaud Lagardère en mai 2020,
juste après l'arrivée de Vivendi au capital de Lagardère SA.
Certains prédisaient alors une bataille homérique entre ténors du
capitalisme français, voire un dépeçage du groupe: à LVMH les
activités de distribution spécialisée (Relay, etc), à Vivendi les
médias (Paris Match, le JDD, Europe 1, RFM).
Actionnaires minoritaires
C'est une autre solution, plus élégante, qui a été retenue par les
deux milliardaires, au nom du respect pour l'entreprise fondée par
Jean-Luc Lagardère. En septembre 2021, Bernard Arnault sortait de
la holding d'Arnaud Lagardère en échange d'une participation dans
la structure cotée. Quelques jours plus tard, Vivendi annonçait le
rachat des parts d'Amber et le lancement d'une OPA à caractère
amical afin de créer un "champion européen des contenus".
Vivendi n'était toutefois pas au bout de ses peines. Fin 2022, la
Commission européenne ouvrait une enquête approfondie sur ce
rachat. L'autorité européenne de la concurrence craignait notamment
que le rapprochement entre Hachette, leader français de l'édition,
et Editis, numéro deux, ne conduise à une position dominante sur de
vastes pans du marché du livre en France. Vivendi n'avait d'autre
choix que de rogner sur ses ambitions. Il a fini par céder Editis
au milliardaire tchèque Daniel Kretinsky, ainsi que le magazine
Gala au groupe Figaro.
En dépit de ces concessions, Vivendi peut aujourd'hui savourer une
opération qui lui "confère une toute nouvelle dimension", en
faisant passer son chiffre d'affaires de 9,6 milliards d'euros à
16,5 milliards d'euros pro forma, et ses effectifs de 38.000 à
66.000 salariés.
Toutefois, le groupe ne détient aujourd'hui que 60% du capital de
Lagardère et devra composer avec les actionnaires minoritaires qui
n'ont pas cédé leurs titres. Parmi eux, la famille Lagardère,
Bernard Arnault et le fonds souverain du Qatar détiennent ensemble
environ 30% du capital et pourraient peser sur les décisions à
venir.
La gouvernance toujours en question
Le rôle dévolu à Arnaud Lagardère constitue une autre source
d'incertitude pour les prochaines années. L'ex-gérant commandité du
groupe, aujourd'hui président-directeur général, semble s'être
assuré une place centrale dans ce nouveau chapitre. Il a été nommé
début novembre président-directeur général d'Hachette Livre et
garde le rôle de gérant commandité du pôle radio, dont il a négocié
"l'autonomie" l'année dernière. Sa capacité à s'opposer aux
décisions de son actionnaire de référence et à garantir
l'indépendance éditoriale des journalistes semble toutefois
limitée, comme l'a montré le récent conflit au JDD, et son maintien
à la tête du groupe reste à la discrétion de Vincent Bolloré.
Le milliardaire breton s'est en revanche engagé à "préserver
l'intégrité" de Lagardère, ce qui implique d'investir dans des
activités très différentes dont certaines, comme le commerce en
zone de transport ('travel retail'), sont loin du cœur de métier de
Vivendi. "Nos activités, tant en termes de portefeuille de produits
que d'implantation géographique, se complètent parfaitement", ont
cependant assuré Yannick Bolloré et Arnaud de Puyfontaine,
respectivement président du conseil de surveillance et du
directoire de Vivendi, dans un communiqué.
Avec ce rachat, Vivendi renforce notamment sa présence aux
Etats-Unis, à travers les maisons d'édition détenues par Hachette
et le réseau de boutiques d'aéroports. Lagardère réalise
aujourd'hui près de 30% de son chiffre d'affaires en Amérique du
Nord, contre moins de 15% pour Vivendi. Deux ans après sa
séparation d'Universal Music Group (UMG), le groupe entretient son
rêve américain.
-François Schott, Agefi-Dow Jones; +33 (0)1 41 27 47 92;
fschott@agefi.fr ed: LBO
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